La France a une image simpliste de l'Allemagne, convaincue qu'elle est que l'Allemagne est toute incarnée dans la personne d'Angela Merkel. En fait l'Allemagne a été la première à ouvrir un débat sur le futur de l'Europe et sur la gestion de la crise actuelle. Dans ce contexte j'ai beaucoup aimé cette semaine ce texte de Joshka Fisher, ancien Ministre des Affaires Étrangères, publié dans le Süddeutsche Zeiting et qui est pour le moins en complet désaccord avec la position de la chancelière. J'espérais le voir surgir dans la presse française, je ne l'ai pas trouvé, donc en voici une traduction toute personnelle:
L'Allemagne est seule et isolée. La Chancelière Merkel, en contradiction avec toutes les leçons du passé, reste dogmatiquement accrochée à une politique d'austérité qui a conduit l'Europe à sa perte. Si l'Euro, et avec lui la deuxième zone économique mondiale s'effondre, alors nous aurons droit à une crise d'une ampleur que les générations actuelles n'ont jamais connue.
La situation est sérieuse, très sérieuse même. Qui aurait pu même rêver de voir David Cameron exiger des gouvernements de l'Euro-groupe d'enfin avoir le courage de créer ensemble une union fiscale (budget commun, politique fiscale, garantie commune pour les dettes souveraines), et comme cela ne peut pas être autrement, même de créer une Union politique. Ce n'est en effet que comme cela que peut-être éviter la chute de l'Euro.
Le Premier Ministre conservateur britannique! Si rapidement arrivé à cette conclusion! El le pire, c'est que Cameron a parfaitement raison, sur tous les points. La maison européenne est en flamme, et Londre demande un comportement raisonnable et décidé des pompiers.
Mais malheureusement il a une tout autre conception que celle des pompiers (que la nôtre à nous les Allemands) et que la pompier en chef Angela Merkel. L'Europe, conduite par l'Allemagne, préfère déverser du kérosène plutôt que de l'eau sur les flammes, et le feu s'embrase de plus bel avec la polititique d'austérité lancée par Merkel. C'est ainsi que la crise financière s'est transformée en l'espace de trois ans en véritable crise existentielle.
Et que l'on se fasse aucune illusion. L'Europe est aujourd'hui au bord du précipice et va tomber dans les mois qui viennent si l'Allemagne et la France ne tournent pas ensemble le volant et n'ont pas le courage de transformer la zone Euro en union fiscale et politique. Car si l'Euro s'effondre, l'Union Européenne et son marché unique s'effondreront aussi, c'est `a dire le deuxième espace économique mondial, et surviendra une crise économique sans précédent, comme les générations actuelles n'en ont pas encore connu.
Pas de confiance dans la politique d'austérité
Les dernières élections en France ou en Grèce, mais aussi les élections municipales en Italie ainsi que les manisfestations en Espagne et en Irlande, ont montré que les populations depuis longtemps ne croient plus à la politique d'austérité allemande sans croissance. Cette crise nous montre à nouveau qu'une telle politique d'austérité en pleine crise financière ne fait que renforcer la dépression.
En fait on aurait dû se souvenir de cette leçon déjà donnée au monde par la crise de 1929 et par la politique d'austérité de Hoover aux États-Unis et de Brüning en Allemagne.
En conséquence de quoi la Grèce menace de glisser rapidement vers le chaos, et la vague risque de déferler ensuite sur l'Espagne, l'Italie et la France, et d'ensevelir l'Europe toute entière. Et après? Voulons nous passer par pertes et profits ce que plus de deux générations d'Européens ont réalisé et ce qui a conduit à la période de paix et de prospérité la plus longue de l'histoire de notre continent?
On peut maintenant être sûr d'une chose, c'est qu'avec l'effondrement de l'Euro et de l'Union Européenne, c'est l'Europe qui va disparaître de la scène mondiale. Et cela aura des conséquences facheuses tout spécialement pour l'Allemagne, ce qui rend la politqie de Berlin encore plus absurde.
L'Allemagne et la France sauveurs de l'Europe
L'Allemagne et la France ont dans leurs mains l'avenir de notre continent. l'Allemagne devra faire un effort économique et financier, la France un effort politique, pour sauver l'Europe. La France devra dire oui à l'union politique, et cela signifie un gouvernement commun avec un contrôle parlementaire commun dans la zone euro.
Nous avons en fait déjà de facto cet ordre politique, puisque les parlements nationaux sont les garants de la souveraineté budgétaire, et les gouvernements nationaux de la zone Euro agissent de facto comme un gouvernement commun dans la gestion de la crise.
Et l'Allemagne doit se décider pour une union fiscale, et cela signifie finalement que l'Allemagne doit garantir avec sa puissance économique et sa richesse la survie de la zone Euro: rachat illimité de la dette souveraine des pays en crise par la BCE, européisation des dettes d'État via les eurobonds, programme de croissance pour éviter une dépression dans la zone euro et engendrer de la croissance.
On peut facilement s'imaginer la rage du débat en Allemagne sur un tel programme. Encore plus de dettes! Perte de contrôle sur notre richesse! Inflation! Cla ne marchera jamais! C'est faux parce que le boom de l'économie d'exportation se base justement sur de tels programmes dans les pays émergents et aux États-Unis. Si la Chine et les États-Unis n'avaient pas massivement soutenu leur économie en partie par de la dette notre boom d'exportation n'aurait jamais eu lieu.
Le défi des réformes structurelles
Au-delà de la gestion immédiate de la crise et de la nécessaire politique de croissance il y a un troisième défi auquel les Européens sont confrontés : les inévitables réformes structurelles pour massivement renforcer la compétitivité européenne. Union politique, Union fiscale,Croissance et réformes structurelles, ces quatre piliers doivent permetttre à l'Europe de sortir de la crise. Et de nouveau c'est de l'Allemagne, l'Allemagne réunifiée, dont dépend la décision.
Comprenons-nous, nous les Allemands, notre responsabilité européenne? Pour l'instant on n'en a pas l'impression. Rarement l'Allemagne a été si isolée. Presque personne ne comprend notre politique dogmatique d'austérité qui ne résiste à aucune expérience, on nous considére comme étant à côté de la plaque, comme un conducteur qui roulerait à contresens. Il n'est pas trop tard pour changer de politique, mais le temps presse. C'est une question de jours ou de semaines. de mois peut-être, mais pas d'années.
Au XXème siècle, par deux fois l'Allemagne a cherché à asservir le continent et s'est ainsi détruite elle même et a brisé l'ordre européen, par la guerre et même par l'opprobe de crimes contre l'humanité. L'Allemagne en a tiré les justes conséquences, et la réunification allemande n'a été permise que par un changement crédible, et par l'intégration de ce grand pays au centre de l'Europe dans l' occident et dans l'Union Européenne.
Ce serait une tragédie et en même temps une ironie, si maintenent au début du 21ème siècle, l'Allemagne réunifiée, brisait pour la troisième fois l'ordre européen, cette fois pacifiquement et avec les meilleurs intentions.
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