A la veille d’une réunion du Conseil qui ne donnera pas les résultats espérés et que pourtant tout le monde attend comme le Conseil de la dernière chance, il n’est pas inutile de se replonger dans les Mémoires de Jean Monnet. En voici mes extraits préférés, la pagination se réfère à l’Édition Fayard, 1976.
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Des mesures si simples, prises plus tôt, eussent-elles évité la grande crise? Poser cette question, c’est ignorer que les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise.
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Where there is no vision, the people perish!
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Les choses les plus importantes sont généralement simples, elles le sont si on veut qu’elles les soient.
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Cet homme (Saint-Exupéry) , dont la vie était pleine d’attachements, disparut en solitaire le 31 Juillet 1944. Je n’oublierai jamais de lui cette phrase : ‘’Le plus beau métier des hommes, c’est d’unir les hommes’’.
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La modernisation n’est pas un état de choses, c’est un état d’esprit (tirée de l’introduction au premier plan quinquennal)
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Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions.
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‘’Les propositions de Schuman, disais-je, sont révolutionnaires ou elles ne sont rien. Leur principe fondamental est la délégation de souveraineté dans un domaine limité, mais décisif. A mon avis, un plan qui ne part pas de ce principe ne peut apporter aucune contribution utile à la solution des grands problèmes qui nous assaillent. La coopération entre les nations, si importantes soit-elle, ne résout rien. Ce qu’il faut chercher, c’est une fusion des intérêts des peuples européens, et non pas simplement le maintien de l’équilibre de ces intérêts.’’
Page 378 :
‘’Nous sommes là pour accomplir une œuvre commune, dis-je, non pour négocier des avantages, mais pour rechercher notre avantage dans l’intérêt commun.’’
Page 382 :
Au moment où ils se séparaient, je leur dis : ‘’Certes, l’entreprise où nous sommes engagés pose des questions nombreuses. Mais la plupart de ces questions se poseraient en tout état de cause et se résoudraient d’elles-mêmes, dans le désordre et à notre détriment. Si nous ne faisons rien, le destin se chargera de régler contre nous nos difficultés actuelles.’’
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A la densité des résistances se mesure le progrès des changements.
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Quand les hommes se trouvent dans une situation nouvelle, ils s’adaptent et changent. Mais aussi longtemps qu’ils espèrent que les choses pourront rester en l’état ou faire l’objet de compromis, ils n’écoutent pas volontiers les idées neuves.
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Le jour se levait quand nous nous quittâmes le Quai d’Orsay. Je dis à Fontaine : ‘’Nous avons quelques heures pour nous reposer, et quelques mois pour réussir. Ensuite… - Ensuite, poursuivit Fontaine en souriant, nous rencontrerons de grandes difficultés dont nous nous servirons pour avancer à nouveau. C’est bien cela, n’est-ce pas? – C’est cela même. Vous avez tout compris de l’Europe.’’
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Il n’y a de défaites que celles que l’on accepte.
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‘’Nos pays sont devenus trop petits pour le monde actuel, à l’échelle des moyens techniques modernes, à la mesure de l’Amérique et de la Russie aujourd’hui, de la Chine et de l’Inde demain. L’unité des peuples européens réunis dans les États-Unis d’Europe est le moyen de relever leur niveau de vie et de maintenir la paix. Elle est le grand espoir et la chance de notre époque.
Si nous y travaillons sans retard et sans relâche, elle sera la réalité de demain.’’
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J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises.
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Il n’y a pas d’idées prématurées, il y a des moments opportuns qu’il faut savoir attendre.
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L’idée est claire : l’Europe sera créée par les hommes, le moment venu, à partir des réalités. Comment avons-nous pu croire à plusieurs reprises que ce moment était venu et que les réalités étaient mûres, c’est une histoire pleine de malentendus, mais aussi de bonnes volonté. Si l’Europe a été tirée dans plusieurs directions opposées par des hommes qui n’avaient pas la même idée de son destin, j’y vois beaucoup de temps et d’efforts perdus, mais rien qui contredise la nécessité de l’unir. Simplement, les philosophies et les méthodes étaient différentes, et comme toujours ce sont les réalités qui auront le dernier mot. Ce dernier mot est en train d’être écrit je crois, et il ressemble fort au tout premier, celui de 1950. Il se lit ainsi : délégation de souveraineté et exercice en commun de cette souveraineté déléguée. Je ne vois pas qu’on ait inventé autre chose depuis vingt-cinq ans pour unir l’Europe, en dépit de toutes les occasions de faire dévier le chemin.
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Nous nous attachions à notre méthode qui consiste à déterminer d’abord ce qui est bon pour l’ensemble des pays réunis dans la Communauté, et à mesurer ensuite l’effort que tel ou tel aura à faire en particulier, sans rechercher, comme dans le passé, de vaines équivalences ponctuelles.
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Je ne suis pas optimiste, je suis déterminé.
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C’est tout simplement le retour des situations qui impose ce rappel constant des mêmes recettes de bon sens que les hommes oublient d’une fois à l’autre. D’où, d’ailleurs, la nécessité des institutions pour créer des cadres et fixer des règles d’action qui substituent à la discontinuité des expériences individuelles la mémoire collective durable.
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Nous nous posons des questions inutilement, alors que nous n’avons rien de mieux à faire que de continuer.
….
Continuer, répéter, c’est, j’en suis conscient, la caractéristique de ce récit qui ne fait que rapporter l’histoire d’une création laborieuse. Peut-être un jour quelqu’un la racontera-t-il avec le style de l’épopée, et je crois en effet que la naissance de l’Europe apparaîtra, avec le recul, comme une aventure fulgurante. Ce sera la vérité de demain. La réalité d’aujourd’hui a sa vertu dans sa patience minutieuse.
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Convaincre les hommes de parler entre eux, c’est le plus qu’on puisse faire pour la paix. Mais il faut plusieurs conditions, tout aussi nécessaires. L’une est que l’esprit d’égalité préside aux conversations et qu’aucun ne vienne à la table avec la volonté d’emporter un avantage sur l’autre. Cela implique que l’on abandonne les soi-disant privilèges de la souveraineté et l’arme tranchante du veto. Une autre condition est que l’on parle bien du même objet; une autre, enfin, que tous s’attachent à rechercher l’intérêt qui leur est commun. Cette méthode n’est pas naturelle aux hommes qui se rencontrent pour traiter des problèmes nés précisément des contradictions d’intérêts entre États nationaux. Il faut les amener à la comprendre et à l’appliquer. L’expérience m’a enseigné que la bonne volonté n’y suffit pas et qu’une certaine force morale doit s’imposer à tous : c’est celle des règles que sécrètent les institutions communes supérieures aux individus et respectées par les États.
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‘’L’avenir des Français, c’est l’Europe. Le Général de Gaulle nous a expliqué qu’il veut réduire l’action commune de la France et de ses voisins à des rapports entre gouvernements. L’expérience nous montre que de tels rapports sont nécessairement précaires, d’autant plus qu’ils sont sans cesse remis en cause par des menaces de ruptures. Pour entraîner l’adhésion et l’effort d’une France rajeunie, les Français d’aujourd’hui et de demain ont besoin d’un président à leur image et aux conceptions modernes.’’ (soutien pour Jean Lecanuet)
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Il était clair que pour que le sentiment européen se concrétisât en adhésion politique, il faudrait que le spectacle ne soit plus seulement de la discussion, mais celui de la décision. A Bruxelles, on discutait beaucoup et l’on décidait peu.
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Mais l’échec est trop spectaculaire, certains changements d’attitude trop surprenants pour que l’on puisse voir là autre chose qu’un accident de parcours. Dans de tels cas, il n’y a rien à faire si ce n’est d’attendre que l’ordre renaisse de la nécessité.
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L’Europe sera en difficulté très longtemps. D’ailleurs penser qu’on fera des progrès sans difficulté est une erreur fondamentale’’ Que faut-il faire? Me demandèrent les journalistes. ‘’Continuer, continuer, continuer…’’ leur répondis-je, et ils parurent se satisfaire de cette réponse parce qu’ils voyaient bien que c’était ma règle depuis vingt-cinq ans et qu’à travers toutes les crises et les péripéties de l’histoire la construction européenne progressait irrésistiblement sur le chemin où nous l’avions engagée.
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Incroyablement d'actualité tout cela, avec un seul regret, et qui explique d’ailleurs peut-être pourquoi on a, à un moment donné, quelque peu délaissé Monnet : il manque dans cette foi européenne le souffle d’une nouvelle démocratie à construire à l'échelle de l'Europe, or l’Europe ne sera pas si elle n’est pas légitime, et donc si elle n’est pas avant tout démocratique.
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